19 May 2015

L’INjustice à sa pire

The English version of this article is published on PositiveLite.

Il est possible que mon fil de nouvelles sur Facebook ne se ressemble pas au vôtre, mais vous avez peut-être vu au cours de la dernière semaine l’histoire d’un jeune athlète universitaire dans l’état de Missouri — gai et noir — trouvé coupable de deux chefs de transmission du VIH et de quelques autres d’exposition au risque de transmission du VIH. La peine? 60 ans, mais son équipe de défense essaie de faire purger les deux peines de 30 ans de façon concurrente au lieu de consécutive. Pour avoir omis de dire quelque chose. Si je ne le nomme pas et si je n’utilise pas son image, c’est un choix de ma part : je refuse de participer à la stigmatisation de ce jeune homme en republiant son nom et son image.

C’est le pire cauchemar d’une personne vivant avec le VIH (PVVIH), être accusée par un ancien partenaire de ne pas avoir divulgué son statut avant d’avoir des relations sexuelles, relations qu’il n’aurait jamais eu si seulement il le savait d’avance. Le cauchemar devient encore plus grotesque dans ce cas, un jeune homme gai noir à une université plutôt blanche dans un état avec une histoire difficile au niveau du racisme. Ajoutons que cet état s’est donné des lois criminelles spécifiques au VIH qui ont peu de liens avec la science et qui transforment des fournisseurs de soins en témoins pour la poursuite.




La loi au Missouri

C’est une crime au Missouri pour une PVVIH d’être ou de tenter d’être donateur de sang, produits sanguins, organes, sperme ou tissus (sauf dans le cadre de la recherche), ou d’agir d’une manière insouciante en exposant une autre personne au VIH sans conscience et consentement de cette personne. La loi précise que les expositions défendues comprennent le sexe oral, anal ou vaginal, le partage de seringues ou la morsure d’une manière qui permet le liquide séminal ou vaginal ou le sang de la PVVIH d’entrer en contact avec les muqueuses ou la peau
« non intact » de l’autre personne.

On permet comme preuve que la PVVIH connaissait son statut avant un acte sexuel ou de partage de seringues, un diagnostic de syphilis, gonorrhée ou chlamydia après le diagnostic du VIH ou la preuve d’une autre personne d’un contact sexuel avec la PVVIH après son diagnostic de séropositivité. Et quand on est diagnostiqué au Missouri, il est obligatoire de signer une déclaration reconnaissant le diagnostic, un formulaire qu’ils gardent dans les archives comme preuve de la date de diagnostic. Vous n’aurez pas du counseling sur les conséquences de cette signature, ni accès à un avocat avant de signer.

Qu’est-ce qui n’est pas permis? La preuve d’utilisation du condom lors de la relation sexuelle ne sert pas de défense. Même si on met à côté le fait que plusieurs situations décrites dans la loi ne mèneraient pas à une transmission du VIH, il est clair que le but de la loi est de punir des personnes plutôt que de freiner la transmission du VIH. (Ils veulent décourager les PVVIH de se faire dépister pour les ITSS? Vraiment?!!)

Vous pouvez consulter la loi de Missouri (en anglais) ici si vous souhaitez le faire. La peine maximale est de 30 ans s’il y a transmission et de 10 ans s’il n’y en a pas.

L’autre chose qui me paraît étrange de ma perspective confortable au Canada est que les jurés ont été appelés à déterminer la peine. C’est probablement la rêve de notre gouvernement fédéral actuel, qui cherche depuis des années à réduire les pouvoirs discrétionnaires des juges professionnels et bien formés (mais je ne défendrais pas le bilan de nos juges par rapport à la criminalisation du VIH). Ses « pairs » les jurés? 11 blancs et un seul noir.




Le cas actuel

Mon désavantage en analysant ce cas est que je dois me fier sur les reportages des autres, et plusieurs d’entre eux manquent d’expertise en la matière (soit le droit, soit le VIH). La meilleure chose que j’ai lue en termes de détails est l’article de Stephen Thrasher sur Buzzfeed (encore en anglais). Il ne fait aucune référence aux traitements ni à la charge virale, donc on va laisser ces questions à côté.

Il semble que le jeune accusé, suite à son diagnostic de séropositivité au VIH, a contacté un ancien partenaire pour partager la nouvelle avec lui. On dirait comportement exemplaire de sa part, mais son partenaire a réagi en l’accusant d’un crime, ce qui a vite mené à son arrestation (devant les autres étudiants à son cours), expulsion de l’université et, bien sûr, la une du journal local avec nom, photo et statut. On connait trop bien ce qui suivait — la recherche d’autres « victimes » par un appel au public et par la fouille de son ordinateur et son téléphone. Je soupçonne que la police ne cherchait que des noms de possibles « victimes » et non pas des preuves de divulgation (en chats et échanges de courriel, par exemple).

C’était quand la dernière fois que la police a lancé un appel public avec nom et photo à la recherche d’autres victimes de la brutalité policière? De la conduite dangereuse au volant? De la fraude? Non, il semble que ces actions se limitent à ce qui nous fait le plus peur, peu importe la validité de la science derrière cette peur.

Notons dans l’article sur Buzzfeed quelques déclarations de la « victime » #1. Il a déjà eu des relations sans condom avec d’autres dans le passé, mais c’était avec des amis ou des connaissances, ou bien des gens qui paraissaient « clean ». Voilà celui qui fait sa part pour mettre fin à la transmission du VIH. Bien que je ne souhaite jamais que quelqu’un soit infecté, j’ai de la misère à tolérer une personne qui blâme les autres tout en se reposant sur ses propres « stratégies » inutiles et mal conçues pour éviter une infection. Je lui dirais en bon anglais « Bite me! », mais ça pourrait lui exposer à une poursuite au Missouri, donc je m’abstiens.

S’il y avait des bonnes nouvelles dans toute cette histoire sordide, c’est que plusieurs des « victimes » ont refusé de porter plainte, mais je n’explore pas de près leurs raisons par peur d’éteindre cette lueur d’espoir. Même avec ces refus, la poursuite s’est permis de se prévaloir du fait que l’accusé a filmé plusieurs de ses rencontres (on me dit que c’est pas si rare que je penserais) pour informer les jurés que ses rencontres étaient beaucoup plus nombreuses que les accusations devant eux. Je présume que le but de cet exercice était de faire peur du
« monstre » devant eux avant qu’ils prononcent la peine.




Les problèmes du dévoilement

Ma parole contre la vôtre. C’est ça, le problème de base avec la divulgation ou la non divulgation dans un cas de criminalisation. Même si un juge ou les jurés ont l’obligation de chercher une doute raisonnable, il me paraît que la tendance est toujours de trouver l’accusé peu crédible parce qu’il cherche à s’exonérer. On ne pense jamais que les « victimes » cherchent à s’exonérer de leurs propres rôles, ou de leur honte, en insistant qu’il n’y avait pas de divulgation?

Donc comment prouver la divulgation? On suggère de l’enregistrer sur caméra (ou téléphone) ou bien de faire signer une attestation de divulgation et consentement par son partenaire. Personne ne fera ça, à défaut d’avoir vécu personnellement ce cauchemar.

Les tribunaux ne semblent pas comprendre l’autre côté de la divulgation du statut de séropositivité au VIH. Quand je divulgue, je m’expose à la discrimination et au non-respect de mon droit à une vie privée — tout dépend de la volonté de la personne de garder mes informations confidentielles. On voit des cas d’emplois perdus ou refusés, du non-respect de la confidentialité des personnes et de leurs informations médicales — suffisant pour dire que la discrimination relié au VIH est un gros problème dans notre société. Si mes droits ne sont pas respectés, si on me discrimine, ça revient à moi de poursuivre et de chercher le dédommagement ; si je ne divulgue pas mon statut sérologique à un partenaire, l’état se montre plus que prêt à me poursuivre afin de satisfaire chez la « victime » l’esprit de vengeance, de peur, ou de honte de ne pas avoir demandé mon statut, ou de ne pas avoir déployé ses propres mesures préventives.

Si je dis que la divulgation est difficile ou que les moyens de la prouver sont irréalistes dans un contexte où je viens de rencontrer la personne, je sais que je vais recevoir plein de commentaires que je qualifierais d’anti-sexe à l’effet qu’on peut attendre le mariage ou le passage de toute période fenêtre pour se faire dépister ensemble. Je ne reconnais pas la planète d’origine de tels commentaires. Chez moi, il arrive d’avoir des relations sexuelles à la première rencontre et cela n’implique pas la transmission du VIH.

Je me permets de penser que ma séropositivité fait notoriété — je l’affiche sur tous mes profils, mon blogue, mon Tumblr, etc. — mais je sais que cela ne suffirait pas comme défense d’une accusation de non divulgation de mon statut. Je ne divulgue pas toujours, mais j’insiste à ajouter que je ne prends pas de chances de transmission non plus. Souvent, je me trouve dans la position de divulguer mon statut afin d’arrêter quelqu’un dans son désir de faire quelque chose qui comporterait un risque et que je ne voulais pas faire en tout cas.

J’ai partagé dans le passé sur ces pages l’expérience que j’ai eu avec un homme qui m’a posé la question après notre activité sexuelle — j’ai dû jouer au travailleur social pendant une demi-heure pour le calmer (nous n’avions rien fait de risqué et ma charge virale était indétectable). Ma deuxième ligne de défense dans ce cas-là allait être son honte : sa réticence d’admettre et de décrire comment nous nous sommes rencontrés. (Pas de honte de ma part!) C’est probablement une bonne chose que je n’ai pas eu à tester cette approche devant les tribunaux.

Oui, la vie serait beaucoup plus simple si on pouvait tous et toutes divulguer son statut. Mais le monde qu’on habite en est un qui punit la divulgation socialement ou par discrimination et qui punit la non divulgation au criminel. C’est tout un choix à devoir faire.

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